2 mars 2018
Delphine Pichard

Un système à bout de souffle : entre immobilisme, résignation et manque d’ambition

Après l’évocation du contexte du sport français sur la scène sportive internationale, et des enjeux de l’attribution des Jeux Olympiques à Paris en 2024 (acte 1), et conformément aux ambitions de haute performance de la France pour ces jeux (acte 2), c’est tout le modèle sportif français, et sa gouvernance qu’il faut revoir (acte 3).

Système à bout de souffleEn effet, et c’est ce que nous allons aborder dans ce quatrième volet, le système sportif français est à bout de souffle, fatigué…

Il a donné tout ce qu’il avait, mais il faut maintenant se faire une raison, c’est terminé, il est temps de déposer les armes, parce qu’elles ne servent plus à rien aujourd’hui, elles ne conviennent plus. Elles ont fait leurs preuves jadis, mais elles sont maintenant très (trop) lourdes à porter… Elles sont pourtant bien présentes, encore bien réelles, et on se dit qu’elles pourraient encore servir, alors on s’accroche, on résiste, croyant bien faire…

Le sport a évolué, et continue d’évoluer ; le système doit donc s’adapter, et même rattrapé le retard accumulé des dernières années…

On a vu apparaître des vélos de plus en plus légers, des raquettes de plus en plus puissantes, des combinaisons ne plus en plus aérodynamiques, des concepts de plus en plus innovants. On a su intégrer des technologies de pointe dans de nombreux matériels sportifs, on a adapté les règles de compétition et d’arbitrage pour suivre les évolutions de pratiques, on a donné l’accès à des modes de préparation physique et sportive de plus en plus poussés. Bref on a accompagné les changements nombreux et logiques qui se sont produits ces dernières décennies, mais ces quelques évolutions, subies et simplement suivies et pas forcément soutenues, nous ont fait croire que nous étions dans le bon train…

« Tout tremble, rien ne bouge »

Dans notre système sportif français, la politique, le management et les organisations n’ont rien suivi du tout, elles n’ont presque pas bougé, tout juste tremblé…

« Le diagnostic est simple : organisées pour piloter le sport amateur des années 1960 et 1970, nos institutions sportives entièrement sous la tutelle de l’État ne sont pas préparées à affronter les enjeux d’aujourd’hui et les défis de demain. » - Alain LORET

Les structures, les administrations, les conceptions, rigides, cadrées, normatives et codifiées, de la gestion du sport en France, ne sont plus d’actualité, mais elles sont toujours très présentes, voire ancrées. Il paraît difficile de faire bouger les lignes, qui plus est, dans un monde relativement fermé, recroquevillé sur lui-même, pas très enclin à entendre ce que le changement pourrait lui apporter.

La dépendance financière

« Le manque de moyens est souvent la justification du manque d’ambition dans la haute performance. »

Le manque de moyens est bien souvent la justification à tout, en particulier lorsqu’il s’agit d’investir, que ce soit pour anticiper, innover ou soutenir un projet à forte ambition comme la haute performance… Il n’y a jamais suffisamment d’argent…

Si bien qu’on se retrouve avec des fédérations qui comptent continuellement, pour gérer au mieux, et assumer leurs responsabilités ; ce qui a pour effet de limiter au strict nécessaire les moyens alloués, dans une démarche de compromis perpétuel très inconfortable, pour essayer de satisfaire tout le monde, et qui au final, ne satisfait personne… On appelle cela le « saupoudrage ».

Saupoudrage

C’est une pratique que l’on retrouve également en entreprise, lorsqu’on parle de rémunération ; une pratique de plus en plus critiquée, qui, même si elle part d’une bonne intention, et s’appuie sur des notions de partage et de solidarité, a tendance à dévaloriser le travail, et la reconnaissance faite à l’individu, qui à l’extrême, peut se voir considéré comme un robot, sage exécutant sans cerveau, et malheureusement conduire à des « burn-out », par manque de repères et perte de sens.

Bref, plutôt que d’essayer de partager le gâteau, ne serait-il pas judicieux d’aller chercher de nouveaux ingrédients pour en faire un nouveau ?

Ce qui est intéressant avec ce point de vue, c’est que, moyennant un peu de patience, d’enthousiasme et de savoir-faire, on pourrait même se retrouver avec un plus gros gâteau, encore meilleur que le précédent, que l’on pourrait partager avec encore plus de personnes !

C’est le symbole de l’ambition, et qui fait que 1 + 1 = 3 😉

« Dans bon nombre de fédérations, le dynamisme et l’ambition dans la recherche financière font souvent place à la résignation et à la fatalité. »

En effet, pour rester dans le domaine culinaire, plutôt que de se dire, et de s’avouer vaincu, en considérant qu’on nous demande de « faire du beurre avec de l’eau », et que ce n’est pas possible… Ne faudrait-il pas se demander « comment faire pour fabriquer du beurre », aller chercher ce qu’il faut, et garder l’eau pour hydrater celles et ceux qui en auront besoin ?!!!

Quand on veut bien y réfléchir, et remettre en cause le fonctionnement actuel, finalement, la dépendance financière est un leurre.

« Mais peut-être est il préférable de ne pas savoir pour ne pas être dans l’obligation d’agir ? »

Le poids de l’histoire et de l’habitude

« Toutes les fédérations reçoivent des aides de l’Etats directement liées à la haute performance. Cela montre le manque de justesse dans l’allocation des moyens et surtout dans l’absence de régulation à l’issue des actions réalisées et des résultats obtenus. »

L’ensemble est basé sur la réalisation d’objectifs fixés dans le cadre des conventions pluriannuelles, que les fédérations à elles seules ne peuvent pas atteindre, puisqu’elles ne sont que l’autorité réglementaire de gestion des subventions… N’y a-t-il pas déjà là, un problème de cohérence ?

Ainsi, dans ce contexte de réflexion sur la haute performance, il apparaît bien que ce soit la gouvernance du sport qui doive être remise en cause.

Comment est-ce possible de donner des moyens à des élus, en échange de l’obtention de médailles olympiques dans leur sport, alors que ce ne sont pas eux qui les font ? Comment croire que l’institution est en mesure de prendre les bonnes décisions quant à l’utilisation de ces subventions au service des objectifs fixés ?

Faisons un parallèle avec l’entreprise, qui elle-même s’inspire du sport parfois, et dont le monde du sport pourrait bien s’inspirer plus souvent… Quand on donne de l’argent à une entreprise, ce ne peut être que dans deux situations :

  • Soit on est client : on achète une prestation, un produit ou un service
  • Soit on est un investisseur : on prête une somme d’argent pour en gagner plus en retour

Dans les deux cas, rien n’est acquis :

  • Le client n’est pas obligé d’acheter, et à tout moment, s’il n’est pas satisfait, il se fait rembourser, ou plus simple encore, il ne reviendra plus jamais acheter
  • L’investisseur n’est pas obligé de prêter, mais quand il le fait, c’est qu’il croit très fort au projet, et qu’il a pris toutes les précautions pour ne pas perdre d’argent

Et surtout, l’entreprise fait des pieds et des mains dans les deux sens pour convaincre !

Je ne suis pas sûre que cela se passe comme cela dans notre système sportif français…

Et d’ailleurs, les fédérations sportives sont-elles les bons interlocuteurs ? Sont-elles vraiment en mesure de demander des subventions ? Connaissent-elles les filières, les talents, les projets des champions de demain ? Comment le pourraient-elles ? Elles sont tellement éloignées du terrain…

Alors qu’elles devraient se comporter comme relais remontant, en soutien de leurs clubs et des sportifs, ferventes défenseuses de leurs propres objectifs, elles jouent trop souvent le rôle de « passe-plat ».

Le ministère des sports demande 80 médailles pour Paris 2024, alors la fédération transmet l’information, y ajoutant toute l’appréhension et la frustration qu’elle ressent, à ne pas être capable d’y contribuer parce qu’il n’y aura sûrement pas de subvention supplémentaire pour cela.

C’est d’ailleurs tout ce que l’on retient : cible inatteignable par manque de moyens… Quelle tristesse ?!!!

Mais ce n’est pas de leur faute, c’est tout un système, toute une culture de dépendance à l’Etat qui est derrière tout cela : une approche très fermée, très stricte, très petite, avec des gens qui n’ont toujours connu que cela, qui ne sont pas en mesure de penser autrement, parce qu’ils ont été éduqués dans ce système.

Des hommes bien en place

Nous l’avons vu dans le dernier article (acte 3), le système repose sur la coopération d’élus bénévoles, un pouvoir exécutif, avec des salariés chargés de mettre en œuvre une politique sportive, le management opérationnel.

Et ce, à tous les niveaux et dans toutes les instances du sport, selon le principe de l’association loi 1901, de la fédération nationale au plus petit club sportif.

Même les collectivités territoriales, de plus en plus impliquées dans le sport, fonctionnent de cette façon : un élu chargé des sports, avec une direction des sports et ses « petites mains » pour s’occuper des équipements sportifs dont elles ont la charge et la responsabilité.

Parmi les problématiques humaines de ce système, on retrouve :

  • des élus bénévoles, bien souvent âgés, la plupart du temps retraités, sans grande ambition malgré leur bonne volonté, et pas forcément à la point de l’innovation
  • des salariés arrivés là, trop souvent par hasard, qui sont, soit dans une situation précaire (emplois aidés), soit enfoncés dans un fauteuil bien confortable qu’ils ont du mal à quitter
  • des bénévoles et des adhérents passionnés, impliqués, mais dans la mesure de leurs moyens, que ce soit en termes de compétences ou en termes de disponibilité

Le portait que je dresse là est volontairement pessimiste, voire caricatural, mais finalement pas très éloigné de la réalité… C’est juste qu’on a parfois du mal à voir la vérité, et surtout à la dire, par peur de voir la situation s’aggraver encore… Effectivement, que se passerait-il si nos bénévoles retraités quittaient le navire ???

Loin de moi l’idée de les faire fuir, mais permettez-moi de réfléchir à un autre mode de fonctionnement, dans lequel chacun a une place, mais la bonne place : un système plus agile, plus cohérent, mieux équilibré.

En effet, si on veut faire bouger les choses, ce n’est pas pour le plaisir de changer, c’est pour améliorer un système ; ce que font la plupart des entreprises pour se renouveler, et pour durer !

Cela commence donc par un changement d’état d’esprit, et une approche optimiste de la situation dégradée, par une observation opérationnelle de cette situation, et une écoute attentive des idées et remarques des personnes les plus concernées, avec l’intervention d’une tierce partie de préférence, pour plus d’objectivité : un premier pas vers l’ouverture.

Si on ne change rien, il ne se passera rien, c’est évident !

Et si l’on veut réussir, il faut prendre des risques…. Qui ne tente rien n’a rien, toute le monde le sait !

Constatez que l’impulsion vient toujours d’une décision humaine ; dans le cas présent, c’est-à-dire dans le système actuel, cela signifie que le changement sera idéalement provoqué par une volonté politique.

La peur du changement

Il y a réellement un conflit entre l’enjeu de la haute performance, et le manque d’ambition des fédérations. Quand un sportif et tout un staff s’engagent dans la haute performance, ils décident de prendre des risques pour atteindre leurs objectifs, et entament un processus de préparation de longue haleine, la plupart des ambitions de haute performance se situant sur une durée de 4 à 8 ans.

Les fédérations quant à elles, les élus en particulier, se sentent alors déstabilisées par tant de mouvement ; craignant de perdre la maîtrise de la situation (et leur mandat), elles restent souvent spectatrices, soutiennent la démarche au strict minimum, s’accrochant à leurs fondations, leur statut, et se cachant parfois derrière les emplois qu’il faut sauvegarder.

Pourtant c’est bien là qu’est leur rôle ; c’est à cet endroit que les sportifs, et la haute performance en particulier, ont le plus de besoins.

Finalement donc, voyant que les fédérations, malgré leur pouvoir et la nécessité de passer par eux, ne sont pas en mesure d’accompagner les projets sportifs, chacun y va de son autonomie, de ses idées, de sa « bricole dans son garage ».

Pour les plus chanceux, ce sont les parents qui accompagnent leurs enfants sportifs et les soutiennent dans leur projet, formant autour d’eux toute une cellule entrepreneuriale, dans laquelle interviennent les multiples acteurs fédéraux, encore indispensables pour rester connecté au système, et espérer un jour en faire partie, pour pouvoir représenter la France aux Jeux Olympiques…

Bruno Massot

Parfois on déconnecte, parce qu’une opportunité se présente de voir son rêve olympique se concrétiser, comme cela a été le cas pour notre normand allemand, médaillé olympique en patinage artistique. Tant pis pour la France, ou tant mieux, va savoir… La médaille est allemande mais Brunot MASSOT est bien français, même s’il n’a plus la nationalité ; c’est qu’il y a des talents sur notre territoire français !

Et puis, n’est ce pas une occasion de se poser les bonnes questions quant à nos modes de fonctionnement, nos choix, nos ambitions et nos prises de risques ?

Parce qu’il est là le problème, et c’est le propre de la nature humaine, voire de la culture française : on préfère ne rien faire parce que c’est plus confortable. On reste sur nos acquis, gesticulant de temps à autre, pour faire illusion sur nos intentions, sans jamais vraiment sortir de notre zone de confort pour aller voir si l’herbe ne serait pas plus verte ailleurs, ou s’il n’y aurait pas une autre façon de voir les choses, qui nous permettrait d’avancer, de progresser, de trouver de vraies solutions à nos problématiques de fond. C’est la peur du changement !

Peur du changement

En effet, on sait ce qu’on perd, mais on ne sait pas ce qu’on gagne…

Pourtant, on voit bien que la situation de peut plus durer, qu’on tourne en rond dans notre bocal. Certes on est bien à l’abri, la température est plutôt agréable, on a nos repères, nos habitudes, et c’est rassurant… mais pourquoi ? Oui pourquoi en fait ???

Il est où le projet d’avenir ? Le sens que l’on veut donner à sa vie ? Le truc qui nous fait vibrer, qui nous fait vivre des émotions, qui nous fait nous sentir vivant ???

Eh bien c’est la même chose pour l’ambition de la haute performance sportive ! Il va falloir sortir du bocal si on veut espérer évoluer au bon endroit, et prendre le bon train, dans le bon sens, celui de la réussite à Paris pour les Jeux en 2024 !

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