26 juin 2017
Delphine Pichard

Des logiques convergentes

Les entreprises savent depuis longtemps tirer parti du sport dans leur gestion des ressources humaines.

Aujourd’hui, que ce soit pour recruter, construire une équipe, mobiliser les troupes, ou tout simplement pour le bien-être des salariés, l’entreprise fait très facilement appel au monde du sport depuis de nombreuses années. Cela s’est développé par le sponsoring, qui a permis, pour les entreprises qui l’ont pratiqué (et quand c’était bien fait), de créer de la cohésion, du lien entre les salariés, quelques soient leurs origines, leur statut ou leur métier ; cela a développé ou renforcé des valeurs fortes de partage ou de performance selon les stratégies adoptées, en créant des souvenirs communs, c’est-à-dire une histoire, à forte valeur.

Ensuite sont arrivés les concepts du team-building et de l’incentive d’entreprise, moins cher que le sponsoring, plus accessible, et surtout interne, c’est-à-dire que c’est le sport qui est intégré dans l’entreprise et non l’inverse : pratique du sport dans le cadre d’événements spécifiques, intervention de sportifs de haut niveau ou d’entraîneurs reconnus... Avec, en plus du côté cohésion, un aspect développement de la performance, individuelle et collective.

Et aujourd’hui, c’est le sport sous toutes ses formes, pour ses bienfaits en particulier, qui s’invite en entreprise : développement d’espace de pratiques sportives, mise à disposition de forfaits, réductions pour des abonnements, cours de yoga ou autres formes d’activités dites douces, adaptation des rythmes de travail pour pouvoir pratiquer du sport... (voir notre article : le sport dans l’entreprise).

Toutes ces expériences cumulées font du sport un élément incontournable de la vie des entreprises. D’un point de vue managérial, le sport de haut niveau est même devenu une référence pour bon nombre d’entre elles !

Le monde sportif, sous la poussée de la professionnalisation, s’est imprégné de la logique entrepreneuriale.

Considérant qu’il s’agissait de s’adonner à une pratique ludique et de divertissement, complètement désintéressée, où la manière d’être et de faire compte davantage que la performance ou le résultat, les instances su sport ont longtemps refusé la logique économique.

Ce qui n’a pas empêché le développement du professionnalisme, c’est-à-dire, dans un premier temps, l’implication de grandes entreprises (par ses grands dirigeants) dans le financement et l’organisation de compétitions sportives, d’abord pour divertir les salariés. Ensuite, les sports comme la boxe, la course à pied, l’aviron, le golf ou encore le cyclisme se sont développés professionnellement, par la rémunération des sportifs selon leurs performances, et donc dans une logique déjà commerciale, lié au spectacle. Puis ce sont les médias qui sont entrés en jeu, et ont notamment contribué au développement de l’industrie du cycle, par exemple, au milieu du 20ème siècle.

Dans le football, premier sport collectif à se professionnaliser, ce sont les constructeurs automobiles qui importent les méthodes de management de l’entreprise dans les clubs (ex : Peugeot au FC Sochaux, Fiat à la Juventus de Turin). Ils rationalisent la gestion du club comme dans l’entreprise, et sont à l’initiative de la séparation de compétences au sein d’une équipe sportive ; ils approfondissent les concepts industriels de productivité et de croissance, comme des paramètres de gestion de la performance sportive.

C’est dans ce sens que la relation du sport à l’entreprise va évoluer, tranquillement, jusqu’à se confirmer dans les années 80, par nécessité, du fait de l’explosion du professionnalisme, et donc des masses salariales à gérer : les clubs professionnels deviennent des sociétés commerciales, et avec elles se développement les fonctions marketing, merchandising, finance, communication interne et externe...etc. Jusqu’à la possibilité d’entrer en Bourse (ce qu’a fait l’Olympique Lyonnais).

Un processus inachevé

Si le sport et l’entreprise ont effectivement, comme nous venons de le voir, des logiques convergentes, et évoluent ensemble, par « interpénétration » des deux mondes, dans leurs intérêts respectifs, il ne faudrait pas oublier les spécificités de chacun.

En effet, il y a bien des situations similaires entre le sport de haut niveau et l’entreprise, comme le contexte de concurrence, ou la notion de performance, mais des différences significatives sont à prendre en compte, et limitent la pertinence des rapprochements.

L’organisation du sport en elle-même, les structures hiérarchiques relativement plates, ou encore les niveaux de rémunération des sportifs, sont parmi les spécificités du sport, non comparables au monde de l’entreprise. Ces caractéristiques ont une grande influence dans le management du sport et des sportifs.

Un sportif accepte très naturellement le volume de travail, les souffrances, les échecs, l’autoritarisme de l’entraîneur parfois, car les récompenses symboliques (souvent médiatiques), intrinsèques (médaille, classement, niveau de compétition) et financières, sont véritablement présentes dans l’univers sportif, facilement mesurables, et sont des éléments de reconnaissance indéniable.

En ce sens le sportif n’est pas comparable au salarié, même si l’entreprise peut s’inspirer du sport dans son management...

A l’inverse, compte tenu de l’introduction d’une logique entrepreneuriale dans le sport professionnel, et malgré son apport avéré, c’est le statut des acteurs du sport, et l’identité même du sport qui se transforme : quand l’entraîneur est un manager de proximité à la base, son rôle évolue vers un management plus fonctionnel, plus stratégique, très éloigné de l’esprit du sport et de ses valeurs initiales.

Puisque ses problématiques de professionnalisation, similaires à celles de l’entreprise, ne sont pas encore réglées dans le contexte spécifique de l’univers sportif, on voit bien que le sport est à un moment charnière de son évolution, et qu’il y a encore du chemin à parcourir, aux côtés de l’entreprise.

Vigilance...

L’interpénétration des deux mondes a des chances de s’accentuer ; cela étant, il convient d’être prudent, et d’éviter les dérives de cette complémentarité évidente.

Du côté de l’entreprise, il s’agit d’utiliser le sport pour les bonnes raisons, sans arrière-pensée de l’ordre de la manipulation ; et de ne surtout pas penser que le sport est « la » solution à tous les problèmes de management.

Du côté du sport, rien ne dit que la logique entrepreneuriale est un modèle économique unique à suivre ; il faut absolument tenir compte des spécificités du monde sportif, qui même si beaucoup d’argent peuvent être en jeu parfois, sont très éloignées des pratiques libérales de l’entreprise.

 

Article rédigé par Delphine PICHARD - ENTRE2SPORT

 

Références d’auteurs : Béatrice BARBUSSE, Sébastien FLEURIEL, Sophie JAVERLHIAC

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