3 septembre 2017
Delphine Pichard

La carte n’est pas le territoire.

Concrètement, cela signifie que la carte sur laquelle nous nous basons, n’est qu’une représentation du territoire ; construite à partir d’observations, de mesures, et d’interprétations, elle n’est que la traduction de la somme des perceptions des différentes personnes qui ont travaillé à modéliser le territoire... La carte n’est pas le territoire lui-même !

En effet, intégrer cette notion permet de comprendre que toute réalité est subjective, et que la vérité n’existe pour personne, elle est propre à chacun. En fait, il n’existe pas UNE carte du monde, mais autant de cartes du monde qu’il y a d’individus.

Comment se construit une carte du monde ?

Notre carte du monde est la synthèse de nos perceptions, notre vécu et nos valeurs

Perception

Regardez ce dessin, que voyez-vous ?

Cette image très connue est issue d’une expérience sur les relations humaines, réalisée à Harvard il y a plusieurs décennies maintenant.

Normalement, vous devez identifier une femme ; jusqu’ici tout va bien... Quel âge a-t-elle ? Que pensez-vous d’elle ? Quel rôle lui attribuez-vous dans la vie ?

Remarquez-vous cette jeune femme de profil, son collier, son petit nez et son air modeste ? Elle est élégante, vous avez envie de l’aborder, surtout si vous êtes un homme, pour sortir avec elle, non ?

Ou bien voyez-vous une vieille femme avec un gros nez, un châle, et l’air plutôt triste ? Elle est courbée et semble avoir froid, vous auriez tendance à lui proposer votre aide pour traverser la route, non ?

Si vous n’en voyez qu’une des deux, c’est normal : c’est ce qu’il se passe dans la plupart des cas !

Dans l’expérience réalisée à Harvard, l’enseignant a influencé une moitié des élèves, en les focalisant sur l’image d’une jeune femme très ressemblante pendant 10 secondes, et l’autre moitié de la classe, en les focalisant sur l’image d’une vieille femme. Ensuite, présentant ce dessin à l’ensemble du groupe, la première moitié a instantanément vu une jeune femme, l’autre moitié une vieille femme. Et lorsqu’il demanda à un élève d’expliquer ce qu’il voyait, un autre élève de l’autre moitié de la classe s’insurgea, ne comprenant pas... Les discussions sont allées bon train entre les deux groupes, pendant un long moment, chacun étant sûr de lui et campé sur ses positions. Progressivement (et parce que c’était le but de l’exercice), au terme d’échanges posés, respectueux et rigoureux, ils finirent par prendre du recul et envisagèrent tous un autre point de vue, en visualisant l’autre femme que celle qu’ils étaient sûrs d’avoir vue.

Cette expérience démontre de façon flagrante que l’on peut voir la même chose, ne pas être d’accord, et avoir tous raison ; ce n’est pas logique, c’est une question de perception, c’est psychologique !

Indices pour voir les deux femmes :

  • Le collier de la jeune femme est la bouche de la vieille femme
  • L’œil gauche de la vieille femme correspond à l’oreille gauche de la jeune femme

Vécu

Notre perception est fortement influencée par notre vécu. Et nos perceptions, vécues comme des expériences, alimentent également notre vécu.

Prenons un exemple : je vous demande de vous investir davantage dans votre fonction. Si notre relation est bonne, vous estimez que je peux vous dire cela, vous allez adhérer à ma demande. Par contre si notre relation n’est pas bonne, vous en avez marre de mes remarques, non seulement vous n’allez pas prendre ma remarque en compte mais peut être allez-vous même m’envoyer balader.

Notre vécu influence fortement notre perception.

Valeurs

Notre perception se confronte aussi à nos valeurs, à notre éducation ; nous allons aussi chercher à valider ou invalider notre perception en fonction de nos valeurs.

Prenons un exemple : vous êtes manager, votre collaborateur vous demande un congé sur une période de fortes charges pour participer à un voyage familial organisé par ses grands-parents.

Première hypothèse : le sens du service et la famille vous habite, vous allez donc vous efforcer de répondre favorablement à sa demande => réponse positive

Deuxième hypothèse : vous êtes guidé par la justice sociale et l’équité et vous vous dites qu’il n’est pas juste et souhaitable d’accorder ce congé dans cette période de fortes charges pour toute l’entreprise => réponse négative

En bref, la synthèse de notre perception, de notre vécu et nos valeurs vont nous permettre de nous forger une représentation de notre réalité, que nous pouvons appeler une carte du monde.

Quels enseignements ?

Ayant maintenant conscience de tous ces éléments, il convient de se poser une question :

Ma carte du monde me permet-elle d’atteindre mon objectif ?

Dans le cas contraire peut-être devrais-je m’interroger sur la pertinence de ma carte du monde... Nous sommes tous capables de changer de point de vue, il suffit de regarder les choses sous un autre angle.

Changements

Vous ne vous sentez pas à votre aise, vous vous sentez confronté à un monde qui ne vous correspond pas, vous avez l’impression de ne pas trouver votre place ici et maintenant, vous ressentez le besoin de changer quelque chose pour aller mieux dans les circonstances actuelles. Effectivement, il faut faire quelque chose !

Opérer un changement, c’est d’abord prendre du recul, et faire en sorte d’avoir une hauteur de vue par rapport à la situation ; c’est sortir suffisamment du cadre, et de la représentation que l’on a sur les choses, afin de redistribuer les cartes ; c’est déconstruire notre carte du monde actuelle.

Et changer, c’est construire une nouvelle carte du monde, en intégrant les évolutions de nos perceptions, nos différentes expériences, et nos nouvelles valeurs (ou nouvelle hiérarchisation de nos valeurs) ; c’est construire une carte plus en adéquation avec nous-mêmes, avec la vie que l’on mène ou que l’on entend mener ; c’est se faire une petite place dans le cosmos !

Communication

L’exercice des femmes a révélé que l’on pouvait voir la même chose et ne pas être d’accord... mais comment est-ce possible ???

On comprend bien dans cette histoire, que chacun peut rester longtemps camper sur ses positions, littéralement convaincu par son point de vue, n’imaginant même pas qu’il puisse y en avoir d’autres, et ce, sur un simple dessin... imaginez sur des thématiques plus complexes ?!

Pour les étudiants dans le cadre de cet exercice, ça va encore, ils ont la chance d’être face à face et de pouvoir se parler... imaginez des échanges à distance, avec des intermédiaires, et/ou uniquement par mail... comme c’est le cas dans la plupart des grandes entreprises ?!

Ils ont pu se parler, expliquer concrètement ce qu’il voyait, de manière à intégrer la possibilité qu’il puisse y avoir effectivement d’autres points de vue... Cela a demandé de la patience, une certaine ouverture d’esprit, et surtout beaucoup d’écoute ; et cela a pris plus ou moins de temps selon les uns et les autres, ce qui démontre la force de nos représentations, et notre capacité à prendre du recul par rapport aux choses.

Il y a ceux qui étaient tellement sûrs d’eux, qu’ils n’ont faire que décrire leur femme à eux, cherchant à convaincre ; ils y a ceux qui ont intégré le fait qu’il y avait un problème et qui ont fait preuve d’écoute pour arriver à déceler une deuxième femme que la leur ; ils y a ceux qui ont de suite intégré ce deuxième point de vue et ont cherché, donc trouvé rapidement, la deuxième femme dans le dessin ; ils y a ceux qui n’ont fait qu’observer la situation, cherchant à comprendre ce qu’il se passait, ne sachant quoi faire d’autre...

Toute forme de comportement s’est manifestée, et chacune a contribué à ce que chacun, les uns après les autres, puissent voir non pas une, mais deux femmes dans ce dessin !

Dans la vie, comme en entreprise, c’est exactement ce qu’il se passe : la communication est un point-clé dans le cas de désaccord et/ou pour désamorcer un conflit. Il convient de bien explorer la carte du monde de son interlocuteur avant d’exprimer la sienne ; cela peut éviter bien des désagréments...

Management

On dit parfois que faire preuve de conviction est une compétence à avoir pour être un bon manager... Je ne suis pas d’accord, du moins pas en ces termes ; je pense que vouloir convaincre absolument est plutôt une tare, dans le sens où cela démontre un manque d’ouverture d’esprit.

Manager aujourd'hui, c’est écouter.

J’espère d’ailleurs que cet article vous en convaincra 😉

Certes la recherche de la performance reste le moteur du management, mais il n’y a pas de performance sans sens, comme le démontre cette fameuse équation de la performance :

P = C x M x S (compétence x motivation x sens)

Et si l’on peut développer les compétences relativement concrètement, et si l’on peut agir sur la motivation notamment par la reconnaissance, la gratitude, ou la rémunération (encore que :-/), on ne peut pas figer un sens pour chacun, c’est à chacun de définir le sien, au fur et à mesure de l’évolution de sa carte du monde.

Le rôle du manager est de laisser son collaborateur agir dans un champ d’intervention qui fait sens pour lui, et de l’aider à s’épanouir dans sa propre représentation, quitte à lui faire entrevoir d’autres horizons, si et seulement les siens ne sont pas en adéquation avec les objectifs qu’il aimerait atteindre.

Un changement sociétal ?

C’est une approche plus subtile que les formes de management « traditionnel » que l’on a coutume de voir... Cela se développe un peu, malheureusement par la force des choses parfois (burn-out...etc), mais il faut reconnaître que ça avance.

En effet, cela nécessite un changement de paradigme important, qui prend du temps parce qu’il concerne un système sociétal global, celui qui a fait que le travail était devenu une valeur pour tous, celui qui a mis l’entreprise au centre, et le manager comme animateur de cette valeur...

Aujourd’hui, la donne a changé, et le management hiérarchique ne suffit pas ; à mon sens, il est même voué à disparaître.

Par contre, être un manager aujourd'hui, comme je le décris dans cet article, n’est pas donné à tout le monde... D'ailleurs, c’est quelque chose qui ne s’apprend toujours pas à l’école, on en est encore très, très loin ?!!! (pour rappel, le festival pour l’école de la vie a lieu à Montpellier les 22 et 23 septembre prochain – cliquez ici si vous voulez en savoir plus)

La bonne nouvelle, c’est que c’est comme tout, ça s’apprend, et il n’y a pas d’âge pour apprendre !

Pour celles et ceux que cela intéresse, je suggère une sensibilisation au management émotionnel niveau 1 & 2 (cf onglet formation) ; le mieux étant de se faire accompagner en individuel, avec un coach en externe, ce qui permet de suivre le développement tout au long du processus, et ainsi de débriefer (donc de valoriser) les différentes avancées et changements (compter 6 mois et 12 séances environ, pour un résultat pertinent).

Le concept de la carte du monde en 5 points

1/ Ma carte du monde n’est pas le monde. Je ne détiens pas toute la vérité !

2/ Il y a autant de cartes du monde qu’il y a d’individus.

3/ Il n’y a pas de bonne ou mauvaise carte du monde. Il n’a que des cartes adaptées ou non à la situation ou aux objectifs que l’on se fixe.

4/ Les cartes du monde peuvent être limitantes (interprétation négative qui inhibe l’action) ou aidantes (interprétation positive qui contribue à l’atteinte de ses objectifs).

5/ Les conflits naissent le plus souvent d’une confrontation de cartes du monde différentes.

 

Article rédigé par Delphine PICHARD - ENTRE2SPORT

 

Sources :

  • Une carte n’est pas le territoire, Alfred KORZYBSKI
  • Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent, Stephen R. COVEY
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