27 février 2018
Delphine Pichard

Après avoir introduit le contexte du sport à l'international, avec les différentes échéances olympiques, et l'horizon Paris 2024 (acte 1), nous avons abordé le champ large de la haute performance, tel qu'il a été étudié dans le cadre du rapport Onesta (acte 2), et nous abordons ici en acte 3, le modèle sportif français, sa gouvernance et ses limites.

Acte 3 :La gouvernance du sport français : une entreprise défaillante

La politique au détriment du management

Le système sportif français est organisé autour des fédérations sportives : on parle d’un système fédéral. En effet, le ministère attribut une délégation de pouvoir aux fédérations sportives dans chaque sport, pour promouvoir, organiser et développer son sport sur le territoire.

Les fédérations, mandatées d’une mission de service public, s’appuie ensuite sur des ligues au niveau régional, et des comités au niveau départemental, de façon à couvrir géographiquement l’ensemble du territoire, pour plus de proximité et plus d’efficacité dans les échanges avec les clubs, qui sont eux, les véritables forces vives du sport. Car c’est effectivement en local que l’on trouve tous les talents et autres passionnés de sport, futurs grands champions de demain pour la France.

association loi 1901

Les fédérations, comme les ligues, les comités, et les clubs, sont des associations loi 1901, réunies autour d’un bureau de membres élus. Tous les membres de ce bureau sont bénévoles, comme dans toute association, même s’ils sont dédommagés des frais qu’ils doivent engager.

Le président, et l’ensemble du bureau, ont le pouvoir (et la responsabilité) de mettre en œuvre la politique sportive générale de l’Etat, en application à leur sport, et à leur territoire.

Des salariés peuvent être recrutés bien sûr, pour accompagner ces organisations dans leur mission : du manager général au secrétaire, l’implication des salariés se traduit sous la forme d’un contrat pour la mise en œuvre opérationnelle de ladite politique sportive.

A noter que les dirigeants sont donc des élus sur leur périmètre, comme par exemple un président de fédération est élu par de grands électeurs, c’est-à-dire d’autres membres élus issus des ligues et comités ; ce qui en fait un monde fermé, peu ouvert au changement et à l’intégration de nouvelles personnes, donc de nouvelles idées.

« La fonction politique a souvent privilégié la stabilité à l’exploration, ce qui convenait tout à fait à une administration qui a horreur du changement ».

D’ailleurs, c’est ce qu’il se passe dans la plupart des fédérations, on y retrouve toujours les mêmes, plus ou moins impliqués dans leur mission. Parfois trop discret, voire laxiste, parfois omniprésent, voire autocrate, le fonctionnement d’une fédération se résume souvent à la stature et à l’engagement de son président, avec trop, ou pas assez de contre-pouvoir.

Ainsi, alors qu’il faut bien souligner leur implication en tant que bénévole, et c’est bien là tout le problème du fonctionnement associatif, il faut aussi se rendre à l’évidence : cela ne fonctionne pas, ou plus.

Le manque de clarté dans l’organisation, et notamment dans le processus de décision, à mi-chemin entre politique et management, fait de ce système fédéral un système instable, beaucoup trop instable pour inspirer confiance, et mettre le monde du sport dans des conditions favorables à la haute performance.

En résumé, les problèmes rencontrés dans les fédérations sont les suivants :

  • Une politique et des pratiques de gouvernance mal définies
  • Des professionnels qui prennent le pouvoir, ou à l’inverse, des présidents omnipotents
  • Une absence de clarté dans la délégation managériale
  • Un fossé qui se creuse entre le pouvoir fédéral et les clubs sportifs locaux : désintérêt et risque de rupture

A cela s’ajoute le besoin, ou la nécessité, de contrôle et de régulation par l’Etat : un rôle ambivalent du fait des moyens financiers engagés, pas toujours transparents, selon les fédérations, selon les enjeux…etc

« La question de la délégation a tendance à exacerber les jeux de pouvoir entre fédérations plutôt que d’apporter des solutions de collaboration »

Et ce n’est pas tout ! On ne parle là que du modèle fédéral, c’est-à-dire du maillage politique sport par sport…

En parallèle, et en fil conducteur, on retrouve tout le système olympique, englobant l’ensemble du système fédéral : le comité national olympique du sport français (CNOSF), décliné en comité régional (CROS), et en comité départemental (CDOS).

équipement sportif

Et en toile de fond, on trouve aussi toutes les collectivités territoriales, propriétaires à plus de 80% de l’ensemble des équipements sportifs français, et impliquées pour le développement du sport sur leur territoire, que ce soit en termes de santé, de tourisme, en ce qui concerne le sport pour tous, ou globalement d’image en matière de sport performance.

Bref, un système complexe qui mérite d’être revu ; ce qui fait l’objet du comité de pilotage sur la gouvernance du sport, mis en place par la ministre des sports en fin d’année 2017.

« Il est temps de passer d’un système administré, à un système managé ».

Le rôle du DTN et des CTS

Sur la notion de performance sportive, l’organisation politique mise en place par l’Etat, consiste à s’appuyer sur un Directeur Technique National (DTN) dans chaque fédération, ainsi que sur d’autres Coordinateurs Techniques Sportifs (CTS) : des agents du ministère des sports, détachés sur le territoire, au service des fédérations.

Initialement dédiés au développement de la performance sportive, les DTN :

« se sont transformés en Directeurs Généraux de fédération, devenus pour certains des gestionnaires, très alignés avec la politique portée par leur président, n’influant pas toujours sur les politiques fédérales, même lorsqu’elles concourent insuffisamment aux objectifs de haute performance fixés par l’Etat. »

Nommés sur proposition des présidents de fédération, il apparaît que les DTN ne sont pas choisis pour leur compétence en matière de haute performance, ni même pour leurs convictions ou leurs idées, mais plutôt pour leur flexibilité, ou leur capacité à se fondre dans le paysage politique de la fédération, tout en permettant d’assurer, quand même, un suivi de mission, notamment budgétaire, conformément à la convention pluriannuelle d’objectifs signée entre la fédération et l’Etat.

De même, alors que les CTS font l’objet d’une convention cadre qui définit le nombre d’agents placés auprès de chaque fédération, il apparaît que, malgré leur statut, et l’enjeu de leur mission, il ne fasse pas réellement ce qui est prévu, notamment en matière de haut niveau. En effet, leur mission s’étale sur tous les pans : de la promotion du sport pour tous à l’accompagnement des équipes nationales, en passant par l’entraînement, la formation des cadres ou encore la détection en local… Ils sont également sensés être garants de la cohérence entre les projets sportifs des fédérations et les orientations prioritaires d ministère de la santé et des sports, ou encore s’assurer de la bonne utilisation des crédits publics… C’est un peu comme s’ils étaient des pions placés par l’Etat, pour aider les fédérations dans la mise en œuvre de leur délégation.

Ce sont des hommes et des femmes à tout faire, pourtant diplômés, reconnus en tant que professeurs de sport, qui se retrouvent à faire tampons entre les fédérations et l’Etat. Souvent d’anciens sportifs de haut niveau, ou anciens entraîneurs, devenus cadres de la fonction publique, les CTS entretiennent finalement l’idée d’un réseau fermé et étriqué, dans lequel le « copinage » fait foi, avec ses avantages (notamment dans la reconversion des sportifs et la création d’emplois) et ses inconvénients (dans le manque de compétences et l’absence de performance en termes de résultats).

« Sur le champ du haut niveau, l’histoire nous dit que le fait politique prend trop souvent le pas sur l’évaluation et l’expertise ».

Le modèle économique des fédérations

« Le manque de moyens est souvent la justification du manque d’ambition dans la haute performance ».

Alors même que :

« Les moyens engagés par l’Etat sont parmi les plus élevés d’Europe et peuvent être considérés comme suffisants pour amorcer une réelle mutation ».

Le modèle économique des fédérations s’appuie en moyenne à 50% sur des subventions. Ses sources de financement sont les suivantes :

sources de financement

  • Ministère des sports
  • Subventions publiques : issues des collectivités territoriales essentiellement
  • Partenaires privés : échanges de marchandises, actions performance, et droits TV sur les événements
  • Ressources propres : en majorité les licences

« Il semble responsable de faire la preuve de l’efficience du modèle avant de réclamer des moyens supplémentaires ».

Qui plus est, dans un contexte de réduction des dépenses publiques, il convient de travailler au développement de ressources propres, grâce à des actifs stratégiques comme l’organisation d’événements ou la gestion d’infrastructures sportives. Ces recettes, favorisant l’équilibre budgétaire, permettraient également de légitimer l’autonomie des fédérations, au même titre que beaucoup d’associations du système sportif, et d’envisager la redistribution des recettes de manière plus cohérente avec les enjeux, et notamment les ambitions de la haute performance, qui nécessite une certaine prise de risque à long terme.

Mais aujourd’hui, les fédérations, responsable du développement de la haute performance dans leur sport, n’ont pas vraiment pris le virage que certains clubs sportifs ont su prendre il y a quelques années, en se professionnalisant.

cercle vertueux de l'argent dans le sport

« La haute performance a un coût certain mais c’est aussi un vecteur de ressources supplémentaires. »

Or aujourd’hui, la plupart des fédérations se contentent de faire avec les moyens qu’elles ont, c’est-à-dire de gérer l’argent que lui verse l’Etat pour ses missions, en s’appuyant sur les ressources humaines fournies par L’Etat.

Il y a réellement un conflit entre l’enjeu de la haute performance, et le manque d’ambition des fédérations.

La seule « réelle » source de revenus des fédérations, en complément des subventions versées par l’Etats dans ses diverses formes, réside dans les licences vendues aux pratiquants de clubs, ce qui à priori finance exclusivement l’organisation et la gestion des compétitions départementales, régionales et nationales.

Et d’ailleurs, certains adhérents de club ne comprennent pas forcément ce coût, dans la mesure où ils ne souhaitent pas forcément participer à des compétitions, juste faire du sport pour le plaisir avec des copains…

Mais ça, c’est une autre histoire… quoi que liée finalement, au manque de clarté, de transparence, et d’organisation du système sportif français. Parce qu’en fait, quiconque décide de faire du sport, a simplement des besoins à satisfaire : l’accès à un équipement, à un entraînement, à du conseil, la rencontre avec d’autres personnes, la participation à une compétition, une forme de reconnaissance dans un classement.... Pour ses besoins, quels qu’ils soient, le sportif est tout à fait prêt à payer quelque chose, si cela les vaut, c’est évident : pensez que certains sont prêts à investir près de 100€ par mois pour avoir accès à une salle de fitness ou à des séances de crossfit !

Pour autant, comment se construit l’adhésion à un club ? Quelle est la part de licence, la part de cotisation au club, la part d’accès aux équipements, alors même que les équipements sont mis à disposition par les collectivités territoriales, sans aucun retour financier…

Bref, rien n’est clair, tout est possible, et personne ne s’y retrouve ! Eh bien, c’est pareil au niveau national : chacun fait ce qu’il veut, ou ce qu’il peut, avec une forme de résignation et de fatalité.

Pour lire les précédents articles :

Acte 1 : En direct de PyeongChang 2018, et en attendant Paris 2024

Acte 2 : Le champ large de la haute performance sportive : entre amateurisme et professionnalisme

Sources :

Mission d’étude pour la haute performance sportive – janvier 2018 – Claude ONESTA

2ème forum national SPORTCOLL – février 2018 – Montpellier

https://sport-apres2017.com/

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