En acte 1...
A l'heure des Jeux Olympiques d'hiver en Corée, sort le rapport de mission Claude ONESTA, à la demande de la ministre des sports : mission d'étude pour la haute performance sportive. L'enjeu : Paris 2024 et l'objectif de 80 médailles olympiques à domicile !
Pour lire ou relire l'acte 1 : c'est par ici.
Le champ large de la haute performance sportive : entre amateurisme et professionnalisme
Les valeurs du sport
Réunir le sport pour tous et le sport de haute performance est, en France, une ambition inconfortable.
Pourtant, la notion de résultat, au travers de l’organisation de compétitions, a toujours fait partie du sport. Dans tous les sports olympiques, et c’est ce qui en fait un spectacle, il y a des compétitions, pendant lesquelles les performances sont mesurées, qui désignent des gagnants, des perdants, et même un classement général et par catégorie.
Mais aujourd’hui, selon la devise olympique « citius, altius, fortius », pour aller toujours plus vite, toujours plus haut, toujours plus fort, l’entraînement et les moyens de se préparer se sont développés, les organisations se sont professionnalisées, au nom de cette recherche de performance.
Et malheureusement, cette professionnalisation, souvent liée à une notion d’argent, n’a pas une bonne image. Dans notre culture française, alors même que les origines du sport sont issues de la bourgeoisie, il n’est pas bon d’associer l’argent aux valeurs du sport, c’est presque antinomique.
On parle volontiers de fraternité, de solidarité, d’équité, de respect, d’engagement, de dépassement, voire de sens du devoir au service de la patrie… mais pas d’argent, non, surtout pas d’argent !
En France, les sportifs se sacrifient pour apporter des médailles à leur pays.
Jusqu’à maintenant, cela convenait à tout le monde ; cela évitait de se confronter à la réalité, et comme les sportifs eux-mêmes, issus de cette culture, arrivaient à faire encore de bons résultats, on se disait que c’était la bonne méthode… Mais aujourd’hui, quand un français joue la gagne, c’est soit un coup de chance, soit qu’il s’entraîne ailleurs et/ou avec sa propre structure, et surtout, avec ses propres moyens.
Parce que le sacrifice ne paie plus… parce que faire toujours plus de la même chose ne permet pas de changer fondamentalement les choses… Parce que :
la folie, c’est de se comporter de la même manière, et d’attendre un résultat différent
C’est Albert EINSTEIN qui l’a dit…
Il est temps de revoir la copie, dans les fondements du modèle sportif français, si l’on veut véritablement briller à Paris en 2024 !
Le haut niveau versus la haute performance
En France, on ne parle pas beaucoup de performance... On parle plutôt de haut niveau ; et c’est en effet très différent !
Le haut niveau, c’est toute une filière qui se met en marche pour permettre l’accès au sport de haut niveau, c’est-à-dire la mise en œuvre d’une représentation de la France sur la scène sportive internationale.
« Le haut niveau peut se caractériser par une démarche où chacun cherche à créer et réunir l’ensemble des conditions d’émergence d’une performance. »
La haute performance, c’est l’ambition professionnelle que l’on a pour cette filière du haut niveau : un univers de décisions et d’’optimisation permanente, avec son lot d’incertitudes, dans la construction, l’animation, et l’aboutissement des projets des sportifs les plus talentueux.
« La haute performance se traduit par la volonté permanente de toujours viser la victoire, pas seulement la représentation, en acceptant de prendre le risque de perdre pour parvenir à gagner. »
Alors on peut continuer de développer la filière du sport de haut niveau, et faire en sorte que les sportifs français soient de plus en plus nombreux à s’entraîner de plus en plus dur, pour représenter la France en masse aux Jeux Olympiques : on joue la quantité, en espérant que ça passe pour la médaille… sur un malentendu, ça peut marcher…
On peut aussi avoir l’ambition de 80 médailles olympiques françaises à Paris en 2024, ce qui est un bel objectif de haute performance, mais auquel cas, travailler la quantité n’est pas un moyen suffisant pour réaliser ce genre d’objectif : il faut travailler sur la qualité !
Il s’agit donc de :
« remplacer le plus par le mieux »
Nous dit Claude ONESTA dans son rapport.
En effet, intégrer la haute performance à notre mode de fonctionnement actuel, nécessite une prise de conscience : il faut changer des choses pour que le haut niveau et la haute performance trouvent un terrain d’entente, c’est-à-dire un endroit différent, neutre et fertile, un nouveau système de fonctionnement, dans lequel ils pourront interagir l’un avec l’autre, et grâce auquel ils pourront avancer main dans la main, au service l’un de l’autre.
Tout n’est pas à jeter, bien au contraire, mais un changement de paradigme doit s’opérer, par la rénovation du modèle sportif français, dans l’intégration de la notion de haute performance.
Le besoin de moyens
La bonne nouvelle, c’est qu’on peut s’appuyer sur cette filière du haut niveau, existante depuis de nombreuses années, relativement bien structurée, staffée et expérimentée.
A cela il faut maintenant intégrer l’ambition de haute performance, et créer quelque chose de différent de tout ce que l’on a pu faire jusqu’à aujourd’hui, quelque chose de plus fort, de plus abouti.
« Sommes-nous capables d’appliquer à une organisation ce qu’un champion s’applique tous les jours pour accéder à la haute performance ? »
« Si nous voulons créer les conditions de la haute performance, cela revient à créer une nouvelle organisation qui soit autonome, agile, singulière et innovante, où tous les acteurs acceptent la différence et l’exigence de la haute performance. »
Car c’est l’organisation qui doit se mettre au service des sportifs, et non pas les sportifs qui doivent s’adapter aux structures en place.
Ce sont eux qui ont de l’or dans les pieds ou dans les mains, eux qui prennent les risques et sacrifient une partie de leur vie pour leur sport, eux qui transpirent, s’entraînent des heures durant, se font mal et souffrent beaucoup parfois pour donner le meilleur d’eux-mêmes…
Mais comment leur demander le meilleur sans garantie ? La passion suffit-elle à endurer des heures et des heures de travail ? L’investissement peut-il réellement être durable et la motivation sans faille, alors que notre société exige d’être bon à l’école, pour faire des études supérieures, en temps et en heure, et avoir un « vrai » métier, le moins tard possible, parce que la retraite, ce n’est pas pour cette génération-là…
L’accès au haut niveau a été très bien accompagné jusque-là, avec la mise en place de nombreuses mesures qui permettent d’assurer le double projet, sportif et scolaire, des places réservées dans certains concours, des aides à la pension ou des traitements particuliers selon les problématiques des jeunes dont les familles ne peuvent assurer matériellement la poursuite de leur projet sportif.
Et même s’il reste encore beaucoup à faire, notamment dans le suivi psychologique de ces jeunes à qui l’on demande beaucoup, dans un contexte d’isolement, qui frôle l’exclusion parfois, ou bien dans tout ce qui concerne les orientations post-bac, il faut reconnaître que ça bouge, que ça avance, et que l’ensemble des acteurs s’investit sur ce champ.
Mais les problématiques de la haute performance sont bien différentes :
« les sportifs en route vers les médailles doivent être déchargés des problèmes de subsistance pour eux et pour leur famille ».
Il leur faut pour cela un statut social sécurisant, et une reconnaissance qui leur permette de se consacrer pleinement à leur préparation olympique, c’est-à-dire qui leur procure l’équilibre et la stabilité émotionnelle dont ils ont besoin pour être les meilleurs le jour J.
Cela passe aussi par le même genre de mobilisation pour les entraîneurs, dont les activités sont multiples et de plus en plus complexes à gérer. Car même si, à l’instar des sportifs, ils ont une certaine reconnaissance de leur travail, par le contrat qu’ils signent, et le salaire qu’ils touchent, cela prête à confusion dans le cadre de la recherche de haute performance… Doivent ils s’investir à la hauteur de leur mission, à la hauteur de leur salaire, à la hauteur des ambitions qu’ils ont pour les athlètes qu’ils entraînent ?
A cela s’ajoute le besoin d’un accompagnement médical et paramédical de qualité ; ce qui fait grandement défaut en France, en comparaison à bien d’autres nations. L’entraîneur, spécialiste de l’entraînement, ne peut à lui seul assurer toutes les dimensions du développement de la haute performance : physique, technique, tactique et mentale. Certains domaines, pour être menés dans une optique de haute performance, doivent être attribués à des tierces personnes, expertes dans leur domaine : un préparateur physique, un kiné, un ostéo, un chiro, un médecin, un psychologue, un préparateur mental, un analyste-statisticien (ou technicien), un diététicien ou un nutritionniste parfois.
Ainsi l’entraîneur peut se focaliser sur l’articulation du projet sportif dans sa globalité ; il peut alors jouer le rôle de chef de projet, c’est l’animateur de la haute performance.
Sans s’éparpiller, il décharge le sportif de toutes ces responsabilités, pour qu’il puisse se concentrer sur son domaine à lui : le geste, la vitesse, la précision, l’intuition, bref l’excellence et la performance sportive, l’expression de son art.